La personnalité et l’essence

ODILE GRANJARD INTERROGE ROSHAN

Odile GRANJARD : Peut-être pouvons-nous commencer par une question très simple : qu’est-ce que SATRANGA ?

Roshan : Satranga est un enseignement spirituel, une méthode pour se relier à notre nature spirituelle et de l’introduire dans notre vie. C’est un travail spirituel qui touche une partie de notre nature qui est intemporelle, au-delà des préoccupations de notre vie actuelle, et au-delà de nos pensées, croyances, idées et concepts de nos individualités et du monde. C’est l’exploration directe de notre conscience, de notre être. Quand je suis moi-même librement et simplement, sans essayer d’être quelque chose mais être simplement, je suis identifié à ma vraie nature. Ainsi, ma vie devient authentique.

Pour pouvoir accéder à cette authenticité, vous appliquez une méthode précise ?

Satranga est un enseignement au sujet de cette vraie nature, sa méthode, enseigne comment se relier à cette vraie nature. La méthode Satranga est une forme d’exploration socratique, une enquête, une investigation. C’est l’art de se poser des questions, d’être curieux.

Les questions ou certaines questions précises ?

Une question implique une reconnaissance de non-savoir, mais elle implique également une curiosité et un vouloir-savoir. L’enquête signifie l’interrogation, voulant découvrir, étant curieux au sujet de la vie, au sujet de expérience personnelle, au sujet de l’expérience en général. N’importe quelle expérience : vous êtes triste, vous êtes blessé, peut-être fâché ou déçu ou vous avez des problèmes dans votre vie affective etc., etc., tout ce qui surgit peut devenir objet d’enquête. Ainsi l’enquête est fondée sur la curiosité, comme la curiosité spontanée des enfants.

Mais une curiosité précise concernant les choses précises.

Satranga est un acte d’amour, l’amour de la vérité, un amour de savoir. J’aimerais me connaître, connaître l’autre, connaître le monde. J’aimerais savoir directement, d’une manière vivante ce qui est. Satranga est un enseignement au sujet de l’être et au sujet de la relation entre l’essence et la personnalité. L’essence se manifeste de manières différentes et avec beaucoup de qualités différentes.

On a cette curiosité où on ne l’a pas, et si on ne l’a pas, on est censé être endormi ?

Satranga enseigne un corps de connaissance, une approche de la spiritualité, une manière de se lier avec sa vie et son expérience d’une manière personnelle. Vous êtes personnellement intéressé à savoir, non pas parce que quelqu’un vous a dit qu’il est bon de savoir.

Tout ceci semble vrai mais très complexe, je préfère vous poser une question plus simple, pourquoi la souffrance ? Comment l’abordez-vous ?

L’élève vient avec son processus, avec sa vérité. Il réalise qu’il est très fâché, très angoissé ou très insatisfait. Est-ce Dieu qui l’a fait ainsi ? S’il est divin, l’essence, l’être, si parfait et merveilleux et le maître de son destin, comment se fait-il que il soit dans un état minable ? C’est une vraie question et il n’y a pas beaucoup de réponses. Bien sûr les différents enseignements ont des réponses : le Bouddhisme a des réponses, telles que le karma : les Sufis ou les Chrétiens ont une réponse : c’est la volonté de Dieu ; les psychologues ont une réponse : c’est l’enfance. Quand l’élève veut la découvrir pourquoi il est dans un état désastreux, il ne trouve pas vraiment une raison valable qui le satisfait, malgré les innombrables réponses disponibles.

Vous pensez qu’il n’y a pas des raisons valables pour la souffrance ?

Non, Je ne dis pas qu’il n’y a pas des raisons, mais qu’il ne les trouve pas, et toutes ces choses qu’on lui suggère, ne sont que des histoires pour expliquer et justifier sa situation. Il y a également tous ces petits détails qui se sont produits dans sa vie qui sont censés expliquer sa situation actuelle, comme le fait la psychologie.

Ces histoires sont un peu vraies !

Comment se fait-il que de telles choses soient arrivées à lui ? Comment se fait-il que de telles choses qui sont arrivées à lui aient eu une telle influence et de tel résultat ? Pourquoi un être humain fonctionne-t-il ainsi ? Quand vous posez de vraies questions, personne n’a les réponses.

Et vous, pourrez-vous répondre à ces questions. Avez-vous les réponses ?

Je suis conscient du fait que je ne pourrais pas vraiment savoir. Mais je me permets également de penser que, peut-être, il n’ y a rien que nous puissions répondre. Pourquoi est-ce que ceci ou cela se produit ? Pourquoi l’échec ? Pourquoi la réussite ? Pourquoi une telle rencontre ? Pourquoi un tel livre ? Nous pouvons donner toutes les raisons que nous aimons, la grâce de Dieu ou les bons effets de karma ou les bonnes influences des étoiles ; je ne sais pas si quelqu’un peut vraiment expliquer ceci et cela. La seule chose que nous pouvons dire c’est que nous apprenons à agir de la meilleure manière pour négocier avec la situation. Mais la situation, personne ne sait pourquoi elle s’est produite ?

Votre travail implique une dynamique entre la personnalité et l’essence. La personnalité est fausse, pourtant d’après vos écritures, elle peut nous diriger vers quelque chose d’essentiellement authentique.

Cette dichotomie a été identifiée et conceptualisée dans beaucoup d’enseignements, par exemple chez Gurdjieff, chez les Soufis, et chez d’autres. Quelle est la relation entre la personnalité et l’essence ? Pour SATRANGA la personnalité et l’essence ne sont pas séparées. Elles font partie de la même conscience. C’est la conscience qui éprouve, la conscience où les expériences se produisent, la conscience qui pense, répond, métabolise l’expérience, se rappelle, décide. La conscience c’est ce que vous êtes, que vous éprouvez l’essence ou la personnalité ; n’importe ! C’est toujours votre conscience, votre expérience de totalité. Elle est toujours là. Partout où il y a expérience, il y a la conscience.

Les structures chroniques de la personnalité sont les agrégats des images, les concepts, les croyances, les idées que nous avons développées à partir de notre histoire. Les Sufis appellent ces filtres "voiles" ’ ; Les Bouddhistes les appellent des "obscurcissements." Quand nous regardons à travers ces filtres, nous perdons l’authenticité de l’expérience. Notre expérience devient indirecte. C’est cela la personnalité. Quand la conscience s’éprouve immédiatement, sans les concepts, sans les structures, sans les croyances provenant d’une expérience précédente, elle s’identifie comme présence ontologique, comme réalité fondamentale qui est maintenant, c’est l’essence.

Comment dirigeriez-vous quelqu’un vers l’essence ?

Le travail est certainement long, car notre attachement à nos structures chroniques continue de persister. La méthode n’est pas aussi importante que l’attitude juste : l’engagement, la dévotion, la sincérité. Si nous pouvons accéder aux qualités comme la curiosité, la clarté, l’engagement (et chaque être humain les possède en partie), je pense que celles-ci nous porteraient à l’essence parce qu’elles sont des manifestations de l’essence.

Quand une personne se consacre vraiment à la pratique, elle ne vient pas poussée par sa personnalité, la personnalité est consacrée à ses propres structures et dans ce cas elle travaillera à soutenir et à perpétuer et renforcer ces structures.

L’élève continuera indépendamment et malgré ses structures. Même si le moi dit, "non, ce n’est pas intéressant, je n’aime pas ça, ceci est douloureux." Vous continuez toujours.

C’est cela qui vous aide à rester constant sur le chemin ?

Qu’est ce qui vous aide à rester constant sur le chemin ? Cette constance vient d’un endroit qui est au-delà des structures. Ainsi si vous continuez votre travail, cette constance indiquera sa source. Cette source est l’essence.

L’amour de la vérité, la dévotion, la constance, la patience, l’acceptation inconditionnelle, sont l’action de l’essence. Ainsi l’essence se cherche elle-même, l’essence vous guide vers l’essence, l’essence est le vrai maître, elle se manifeste de plus en plus, jusqu’à ce que vous l’identifiiez étant votre vraie nature

Vous avez mentionné l’amour, la curiosité, la volonté, en tant qu’attributs de l’essence. Quels sont les voiles ou les obscurcissements de l’essence ?

C’est une question complexe, parce que la personnalité comme l’essence possède également l’amour et la volonté. Il y a une différence, cependant, qui permet de distinguer entre les deux. L’engagement de la personnalité est rigide, il est inintelligent, il est fixe. Il ne répond pas à la situation d’une manière flexible et malléable, alors que l’engagement de l’essence, la volonté de l’essence, pourrait être très défini, fort et puissant dans une situation, et dans une autre pourrait être vulnérable, sensible, coulant. La volonté de la personnalité est dure. C’est la rigidité.

Cependant, je voudrais remarquer que les qualités, telles que l’amour et la volonté, peuvent devenir parfois des barrières. C’est possible parce que, bien que la nature essentielle se manifeste comme amour, elle les dépasse également. La vraie nature peut également se manifester comme non conceptuelle. Vous ne pouvez pas l’appeler amour, et vous ne pouvez l’appeler ni ceci, ni cela.

L’amour, la joie et la compassion sont d’une certaine manières des concepts

L’amour, la joie et la compassion etc. sont ce que j’appelle des concepts universels. Il y a des concepts créés par l’homme et sa pensée, mais il y a également des concepts universels dans le sens que toute l’humanité les partage. Quand j’éprouve l’amour essentiel, ce sera la même chose que quelqu’un d’autre éprouvant l’amour essentiel. Si je parle de la compassion, quand quelqu’un éprouve la compassion, nous pouvons sentir la similitude. Dans le sens que partout où vous allez, en France, en Chine, en Inde, aux Etats-Unis, la compassion est toujours compassion. Elle existe au-delà de l’histoire personnelle. Ce concept est un vrai concept dans le sens que nous le trouvons, nous ne le créons pas.

Alors comment ces concepts universels peuvent devenir barrières ?

R : Parce que la vraie nature dépasse également cela.
Ces qualités pourraient devenir des voiles ou des barrières, si la personne les prend pour finales et définitives. L’essence continue à se manifester, mais vous ne pouvez jamais la capturer. Vos perceptions deviennent plus fines et plus subtiles, elles sont nécessaires dans un certain sens pour que le processus continue. Toute expérience d’essence est provisoire. En fait, une des indications que quelqu’un mûrit vraiment est qu’il n’est pas coincé dans une perspective particulière, même si c’est une vraie perspective .

Pourriez-vous parler un peu au sujet du rapport entre l’essence et le Dieu ?

Je ne peux rien dire objectivement, Je peux seulement parler de mon expérience personnelle. Le concept de Dieu est variable d’une religion à l’autre, d’un enseignement à l’autre, d’un individu à l’autre. J’emploie le mot "Dieu" pour l’expérience de l’univers en tant que vivant, en tant qu’organisation dynamique. TOUT : les arbres, les oiseaux, les gens, l’air, le ciel, les planètes, la galaxie, TOUT EST LUI comme présence vivante. Dieu est le conscient averti, la vie, le vivant, la manière avec laquelle notre corps sent le vivant ; la vie, les palpitations, les battements de cœur, le respirant. Dieu est un dynamisme, une force, qui se métamorphose constamment et apparaît comme l’univers que nous voyons. Les changements que nous voyons, les voitures se déplaçant, les oiseaux volant, le soleil tournant, les arbres croissants, ne sont que la transformation de cette présence vivante,

En occident, Dieu n’est pas perçu ainsi.

Pour moi, Dieu n’est pas une certaine entité qui existe quelque part dans le ciel. Ce n’est pas une entité à l’image de l’humain. Il est l’existence, expérimentable, expérimentée comme la vraie nature, consciente, dynamique et intelligente. Même lorsque les gens disent ils voient Dieu comme unité d’existence, ils essayent toujours de la rendre anthropomorphe, un Dieu qui pense, qui décide, fait des choses, un Dieu qui punit, qui se fâche, qui est content ou en colère. Je ne le vois pas ainsi. Je vois plus une intelligence évoluant, dynamique et unie.

Et l’essence est Dieu ?

L’essence est la manifestation de cette unité dans la conscience individuelle. Cette pureté, cette conscience pure, je l’appelle l’essence de l’être. La conscience n’est pas indépendante de Dieu. C’est une manifestation plus grande inséparable de la présence . L’essence indique les attributs réels de Dieu, dans un sens comme attributs purs de la conscience.

Vous employez beaucoup de concepts de la psychologie contemporaine. Pourriez-vous expliquer comment vous appliquez ces derniers au chemin spirituel.

Je critique parfois les traditions spirituelles pour avoir négligé les données des recherches modernes, surtout dans le domaine de la psychologie. La psychologie moderne des profondeurs est très perspicace, non seulement au sujet des détails de notre personnalité, mais au sujet de la façon dont elle s’est développée et comment elle se structure. Les traditions spirituelles regardent la personnalité plutôt de façon phénoménologique : comment la personnalité va dans le moment, elles ne s’occupent pas de sa provenance, quand et comment cela s’est-il produit. Le bouddhisme insiste beaucoup sur comment le processus se produit dans le moment, mais il ne recherche pas l’origine.

La psychologie des profondeurs nous donne cette connaissance. Cette connaissance manque dans les traditions spirituelles. Freud a frayé un chemin, ainsi que Jung et d’autres. Nous sommes toujours, dans un certain sens, aux processus de son développement.

O.G : croyez-vous que la psychologie des profondeurs possède une connaissance exacte ?

La psychologie des profondeurs n’est pas nécessairement la connaissance absolue, c’est une connaissance en développement, elle nous éclaire, de manière détaillée comment la personnalité se développe. Ainsi, dans mon travail j’ai intégré cette connaissance au service de la manifestation de notre nature essentielle.

O.G : comment pratiquement vous intégrez la psychologie des profondeurs dans votre travail ?

R : Par exemple, quand la volonté essentielle emerge, les vertus de détermination, d’engagement et d’immuabilité suivent. Je comprends que ce manque de volonté essentielle a été tout d’abord relié aux problèmes psychologiques comme le castration, la façon dont sa propre volonté a été coupée par son père ou sa mère ou par les circonstances, et de la façon dont cette coupure a créé les blessures profondes, comment la personne n’a pas voulu vivre les blessures profondes et leur a résisté. En résistant à la blessure profonde, la personne a oublié le vrai problème : le perte de la volonté ; ainsi maintenant, elle est toujours dans sa souffrance de blessure narcissique et la qualité essentielle n’est pas disponible.

O.G : Et là intervient la psychologie des profondeurs ?

R : Oui, en examinant le contenu psychologique ; son rapport avec l’environnement, avec ses parents, la situation de sa vie, comment elle a produit des blessures, comment elle a créé certaines croyances. L’exploration psycho-dynamique permet de dévoiler, comment nous sommes coupés de l’aspect fondamental de l’essence comme la volonté. Nous apprenons à accepter cela, éprouver cela. Éprouver la coupure réelle, accepter, éprouver, expérimenter, ce que j’appelle une défaillance ou un manque, qui est l’absence d’une qualité essentielle. En éprouvant cela, la qualité essentielle surgira de cette défaillance, comme manifestation de l’esprit, comme la manifestation de l’essence.

O.G : Dans vos écritures vous mentionnez que dans la psychologie contemporaine il manque la notion d’essence. Jung parle de quelque chose de semblable. Que pensez-vous du travail de Jung dans l’ensemble ? Et comment traite-il l’essence ?

R : Le travail de Jung est plus complet que le travail de Freud ou le travail du mouvement psychanalytique traditionnel, parce qu’il a inclu dans son approche la dimension spirituelle. Il n’a pas employé le concept de l’essence, mais il a employé d’autres concepts, comme l’archétype, et image de soi. Ainsi il a apporté la dimension spirituelle, une psychologie spirituelle. Cependant, dans mon enseignement je n’emploie pas les théories de Jung. La raison est que sa manière de regarder l’esprit est différente de mon expérience. Puisqu’elle est différente, je ne peux pas employer sa psychologie ; sa psychologie est inextricablement liée avec sa conceptualisation des archétypes.

O.G : Ce serait intéressant de voir les différences.

R : Il existe diverses vues de Jung et différentes visions des Jungiens. J’avais lu l’approche de Jung au début de mon parcours spirituel et je n’ai pas été enthousiasmé par sa vision. En conséquence, je n’ai pas une connaissance profonde de ses concepts. Je savais qu’il insiste sur l’archétype, mais c’est pendant mes discussions avec des personnes familiarisées avec son approche, que j’ai appris qu’il se base essentiellement sur les rêves, le symbolisme des rêves, les mytes, le folklore, les images, et les histoires qui leur sont assorties ainsi que sur des figures mythologiques.

O.G : La notion d’archétypes existait avant Jung.

R : Bien sûr, l’archétype n’est qu’une adaptation des idées de Platon. L’archétype est un certain genre d’énergie, un certain genre de source qui dévoile un certain contenu, une certaine histoire, une certaine force. Mais il n’est jamais quelque chose de très spécifique, de très défini, de sorte que vous puissiez le regarder et dire "voilà."

O.G : Jung insiste sur la mythologie et la conscience collective de l’humanité.

R : Jung manque d’une certaine précision. Dans ma façon de voir les choses il y a une précision, une urgence, qui n’a rien à voir avec des histoires ou des figures mythologiques. En fait, le travail de SATRANGA est de s’émanciper des histoires, de la mythologie, des symboles. Si les symboles surgissent, ils surgissent. Nous travaillons avec les rêves et naturellement avec l’histoire de la vie d’une personne, mais nous les considérons comme un contenu mental.

O.G : pour vous l’essence, ou les aspect de l’essence sont-ils plus précis ?

R : Absolument, l’essence pour moi est quelque chose qui est éprouvée, réellement expérimentée, qui est définie, qui est claire, qui peut être décrite avec les détails précis. Une autre personne ne pourrait pas la comprendre, mais elle pourrait être décrite dans les détails précis.

Je ne dis pas que le travail de Jung ne comporte pas la notion d’essence, je suis sûr que dans une partie de son écriture il l’a mentionnée mais sans insister. L’essence n’est pas le point central de travail de Jung. J’apprécie le travail de Jung, mais je le considère comme une perspective légèrement différente de ma manière de voir les choses.

Jung est un psychologue. C’est vrai qu’il est plus spirituel dans son approche, mais il reste un psychologue. Les thérapeutes Jungiens pratiquent la psychothérapie. Je ne me considère pas comme un psychologue. Je me vois en tant qu’enseignant et explorateur spirituel. La psychologie est utile dans mon enseignement. Etant une connaissance spirituelle, mon ensignement a une saveur complètement différente. La relation « enseignant/élève » est différente de la relation « thérapeute/client ».

O.G : Certains Jungiens prend Jungianisme comme religion.

R : J’ai eu des entretiens avec certains de mes amis qui sont fanatique de Jung. Il est évident qu’il y a différentes interprétations de Jung. Je ne prétends pas connaître le vrai Jung. C’est pourquoi ce que je dis devrait être pris avec indulgence. Selon moi, ses écritures et les écritures de bon nombre de Jungiens ont une saveur différente, une orientation différente, loin de l’urgence de l’expérience de l’essence, mais pour certains, ça peut être une manière de se relier à leur essence.

O.G : Vous donnez la préférence au travail dans le groupe plutôt qu’au travail individuel. Qu’est-ce qu’un groupe peut faire qu’un individu ne peut pas faire ? Quels en sont ses utilisations et buts spécifiques ?

R : C’est quelque chose que mes élèves demandent fréquemment. Une session individuelle, ce que nous appelons aussi une session d’enseignement privé. La session individuelle fournit quelque chose que le groupe ne fournit pas, et vice-versa. En session privée il y a une possibilité d’intimité, de vulnérabilité et de franchise, parce qu’il y a un rapport face à face de confiance qui permet d’approfondir. L’accès sur sa personne réelle, sa psyché et sa vie est plus facile et immédiat, cela ne peut pas se produire, ou se produit difficilement dans un groupe.

Dans un petit groupe de huit, dix ou douze personnes, l’enseignant travaille avec chaque élève, en présence d’autres élèves qui observent. Ils soutiennent le processus de l’étudiant, ils apprennent également par le processus de l’autre. Ils peuvent également poser des questions aussi bien à l’enseignant qu’à l’élève, donner leur sentiment concernant le travail de l’autre. L’enseignant peut prendre comme point de départ le travail d’un élève, pour faire un exposé sur le sujet pendant dix ou quinze minutes et déclencher une discussion, au sein du groupe permettant à ses membres de relater leurs diverses expériences. Toutes ces interactions ne peuvent pas se produire en session privée. Au sein du groupe, les étudiants apprennent l’un de l’autre. Bien entendu, il y a des exercices qui sont faits en groupe ; les exercices interpersonnels en dyade, les exercices d’exploration, il y a les frottements interpersonnels, la confrontation, c’est une occasion et une possibilité énorme pour travailler ses préjugés et ses structures chroniques.

Il y a également les grands groupes organisés les week-ends. C’est le moment de déclenchement ou de transmission directe des aspects de l’essence. L’enseignant présente l’être ou une qualité d’être, verbalement et énergétiquement, et fournit les moyens nécessaires aux les élèves pour regarder leur situation et leur rapport avec cette qualité d’être ou l’aspect essentiel. Souvent tout le week-end est consacré à un seul aspect essentiel. C’est un travail approfondi. La session individuelle ne permet pas cela.

O.G : Notre société dans son ensemble ne soutient pas un travail spirituel. C’est une évidence, malgré cette méfiance, ce travail est-il utile pour la société ?

Oui c’est utile. Mon sentiment personnel est que le travail n’est pas simplement pour l’individu, il est pour la société et pour l’humanité dans son ensemble. Si vous étudiez certains systèmes sufis, vous verrez que plusieurs ordres soufis refusent de travailler au niveau de l’individu. Ils pensent que le travail est pour le développement de l’humanité. Qu’une personne soit éclairée ou pas n’est pas aussi important que le progrès d’un ensemble

J’estime que quand je travaille sur mon évolution personnelle, les autres en bénéficient aussi, et que quand je travaille sur mon évolution personnelle, d’autres doivent bénéficier de ce travail. Je deviens plus profond dans l’expérience de ma nature spirituelle, je deviens plus spontané et plus normal, mon expérience et mes actions sont plus alignées à ma nature intime. Plus vous êtes en contact avec votre nature essentielle, plus votre coeur est ouvert. Et plus le coeur s’ouvre, plus nous sommes attentifs à l’autre personne. Nous sommes en contact avec l’autre dans ses douleurs, dans ses maux. Nous sommes à l’écoute.

O.G : La compassion !

R : C’est une qualité spirituelle, et cette qualité nous l’avons tous, puisqu’à un niveau profond nous sommes reliés, bien que nous soyons des individus séparés. Ainsi si je vous aide, tandis que je vous aide, je m’aide moi-même. À un certain niveau il y a deux personnes qui s’aident, à un niveau plus profond il n’y a pas deux personnes, il n’y a que l’amour et la compassion qui expriment l’unité d’être. Quand nous éprouvons cette unité d’être en tant qu’individus séparés, nous éprouvons compassion et amour.

O.G : Et cela peut contribuer à un bienfait collectif.

R : Les gens qui travaillent sur eux-mêmes contribuent à améliorer la société en étant authentique, en étant vrai. Une personne plus spirituelle, plus réalisée, plus compatissante, sera manifestement plus altruiste et généreuse en termes d’attention et du temps et même matériellement. La contribution vient également de la qualité de l’action, la qualité d’être, la qualité de la relation. Si ma relation avec vous est l’intégrité, je respecte mon intégrité et votre intégrité, je contribue à améliorer non seulement notre relation mais je contribue à améliorer également la société en général.

O.G : c’est finalement le but recherché par toutes les religions.

R : Chaque enseignement spirituel fournit à l’humanité une vision, une vision de ce qu’est un être humain, que peut être la vie humaine. Un enseignement ou un enseignant ou un élève peut fournir une vision pour la société. Dans un certain sens, la société a perdu la notion de ce qu’est un être humain. Les gens agissent entre eux par intérêt économique, selon des systèmes politiques, ou des jeux socioculturels ; la partie spirituelle n’est pas nécessairement identifiée ou n’est pas comprise. Une personne familiarisée à la dimension spirituelle peut apporter une contribution, une alliance, en édifiant, en fournissant un certain genre de vision qui peut guider les peuples.

O.G : Il y a un certain intérêt dans la spiritualité en ce moment. Voyez-vous cela utile ?

R : Je ne sais pas si je suis qualifié pour répondre à cela. Quand j’essaye de penser à mon travail dans le contexte de l’époque actuelle, et essaye de le comprendre dans la perspective historique, mon intuition se dirige vers l’ouest, il y a une réémergence de quelque chose qui a précédemment existé mais a été oublié : une tradition spirituelle véritable qui répond à la situation et aux aspirations des personnes occidentales.

O.G : Oui, cela a existé, mais oublié !

R : Cela a existé réellement. Je me réfère à des personnes comme Socrate, Platon, les Néoplatonistes, Plotin, etc. Je me réfère aux kabbalistes, Saint Augustine et Saint François d’Assise, aux soufis de l’Andalousie. Je vois tous ceux lâ en tant qu’une tradition continue qui, à certaines époques, était plus pure et plus claire qu’à d’autres. Depuis la révolution industrielle et la révolution scientifique, cette tradition s’est oubliée. La raison, les sciences, et la logique sont devenues dominantes.

Bien sûr les siècles de lumière font partie aussi de l’héritage spirituel de l’ouest ; cependant le coté spirituel s’effacé, mais la force spirituelle est toujours là, et elle fait surface petit à petit.

Je considère la psychologie comme une tentative d’émergence spirituelle dans l’ouest. Je vois Freud et Jung, comme des tentatives de trouver de nouvelles formes appropriées à notre temps. A l’insu des individus, la tradition persiste. La spiritualité et la psychologie actuelles font partie d’un processus historique global. Avec le temps elles deviennent une véritable tradition spirituelle plus complète où la psychologie, la philosophie et la spiritualité sont entremêlées. Je vois mon travail comme contribution à cela.

O.G : Il y a un engouement pour les traditions et religions de l’orient, particulièrement bouddhisme.

R : Il y a naturellement toutes les autres traditions, le Bouddhisme, le Tao, le Soufisme, le Chamanisme. Ces traditions proposent des enseignements utiles et efficaces, mais la force principale qui surgira avec le temps ne peut qu’être universelle et laïque. Elle ne pourra être qu’une intégration de ces diverses traditions, et les traduira en nouvelles languages et nouvelles formes. Ceci se produira également d’une manière qui tiendra compte de notre héritage spirituel, y compris notre héritage scientifique et technologique. Cette mutation se produit déjà. Naturellement de différentes manières et par différents mouvements.

O.G : Cette spiritualité est-elle appropriée en occident ?

R : Nous le voyons dans les religions de tradition hébraïques qu’il y a toujours une préférence pour la vie après la mort. La vie après la mort est où vous trouvez la réalisation, et certaines mystiques chrétiens disent que l’union finale se produit seulement après la mort.

Par contre dans l’ouest actuel, il y a plus d’insistance sur la vie présente, sur l’individu, sur la vie personnelle. Les personnes ici préfèrent être autonomes, indépendants, ayant leur propre vie. Ce peut paraître très matérialiste et exempt de toute spiritualité, mais certains personne sont conscientes et quelque chose les dirigent vers une vérité, qu’elles ne pourront pas trouver dans le matériel uniquement.

O.G : La Spiritualité et matérialisme peut-ils se réconcilier ?

R : Il est possible d’être un vrai individu. Vous avez votre propre vie personnelle ; vous êtes marié, vous travaillez et vous avez vos intérêts, mais vous êtes vraiment authentique, vous êtes vrai, vous êtes essentiel. Vous faites même des affaires, mais vous les faites équitablement, avec intégrité, avec respect, avec compassion, avec conscience. Une personne ne doit pas devenir un moine ou une nonne pour vivre une véritable vie spirituelle. Je pense en occident aujourd’hui, il y a plus de possibilités que cela se produise que dans toutes les autres époques dans le passé. Je ne dis pas que en orient elle est moindre, elle n’est simplement pas soulignée.

O.G : Finalement la spiritualité n’est ni d’orient, ni d’occident, elle est universelle.

R : C’est la manière dont l’ouest et l’est sont différents. Dans la tradition orientale, l’emphase est sur ce qui est nature intime, ce qui est transcendance, ce qu’est l’esprit au détriment de l’homme, son existence dans le monde Il est vrai que la nature divine est importante, mais que devient l’être humain ?

L’orient a contribué à une compréhension beaucoup plus profonde de ce qui est le nature transcendante, mais l’occident a contribué une compréhension de notre rapport avec le monde. Comment vivons-nous dans ce monde, comment nous comportons-nous dans la vie sur terre ? Ce que nous apportons à la situation actuelle, en relation avec notre environnement et la terre, le rapport entre les personnes, les abus de pouvoir, etc. Ainsi, la spiritualité moderne devra traiter toutes ces choses. Intégrer le monde et le divan. L’orient et l’occident.

O.G : Que proposez-vous à quelqu’un qui veut s’embarquer avec vous à la recherche d’une spiritualité authentique ?

R : Ce que j’enseigne n’est pas rechercher ceci ou cela, ni la nature ultime, ni la béatitude, ni l’essence, ni Dieu ; mais regarder dans ce qui est la vérité de mon expérience personnelle en ce moment. Les bouddhistes disent."Découvrons notre identité ultime qui est le néant." Très bien, c’est une bonne méthode, mais ma méthode est de dire : "découvrons ce qu’est en ce moment dans mon expérience." À un certain point dans mon exploration la question de l’identité ultime peut émerger, mais dans l’immédiat, j’ai un conflit avec mon épouse, je vis des émotions et des sentiments de culpabilité, est-ce appropriée de méditer sur l’identité essentielle ? Et même si elle est, il sera difficile, même impossible, que je m’occupe de la question d’identité. Ce sera une entreprise intellectuelle, par contre, je peux explorer ce que je pense de mon épouse. Pourquoi je me fâché avec elle ? Comment est-ce que je peux traiter cette situation d’une manière juste, et avec le moindre de mal pour nous deux ? Si j’opère ainsi, cela apportera l’équilibre et sérénité ; et à un certain point se manifestera la question de soi et de non soi, ce sera le moment juste pour méditer sur cette question.

O.G : Mais on peut pas rester englué éternellement dans les histoire de épouse et de boulot ! Il faut s’ouvrir vers le haut !

R : Pour s’ouvrir vers le haut, vers l’essence, vers l’absolu, j’emploie la recherche, l’exploration et l’enquête, d’autres pourraient employer d’autres moyens. Ainsi, j’enseigne à être authentique envers son expérience personnelle, dans son atmosphère intérieure, sa relation avec l’environnement ; être authentique c’est être ouvert, comprendre et intégrer. Et quand je fais cela, cela provoque la transformation. Une quantité énorme de sincérité et d’engagement est nécessaire, étudier et suivre une recherche spirituelle est un luxe, parce que comme nous savons, à notre époque beaucoup de personnes n’ont ni le temps pour faire ce travail ni assez d’argent pour vivre.

O.G : oui, je reviens au case départ, par ou commencer ?

R : Ce qu’un individu peut faire c’est de remettre en question sa vie, se poser la question : suis-je vraiment authentique ? de voir ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas, est-il vraiment authentique ? Mettre en question ses positions, ses croyances, ses attitudes, pour voir si elles sont alignées.

Une caractéristique inhérente à notre cœur c’est qu’il aime vraiment savoir la vérité. Tout le monde sait cela. Vous pouvez trouver ce qu’est précieux et vrai en vous-même, il y a une joie, une satisfaction la- dedans. Le coeur aime vraiment ce qui est authentique ! C’est inhérent aux êtres humains. Parfois le processus peut être douloureux pour une personne quand elle traverse certaines zones trouble de sa conscience, mais parce que ce que elle y trouve est vrai, il y a de la joie et de la satisfaction. Le coeur aime éprouver la vérité directement, authentiquement, le cœur est notre allié sur le chemin de la vérité.

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