L’amour de la vérité

Une rencontre avec S. R. ROSHAN

Les idées psychologiques et psychothérapeutiques occidentales se sont développées presque entièrement sans l’appréciation de notre héritage spirituel. Par ailleurs, les traditions spirituelles ont ignoré la vie de l’esprit. Le résultat est que nous avons une psychologie qui ne libère pas nos coeurs, et une spiritualité qui peut rarement pénétrer nos barrières psychologiques.

Le processus de l’exploration SATRANGA est extraordinairement puissant parce qu’il est libre de toutes préconceptions autres qu’un amour de la vérité, une acceptation de ce qui surgit dans notre expérience et une bonne volonté d’interroger et explorer ce que nous y trouvons. L’exploration SATRANGA se fonde sur notre capacité normale de distinguer, d’être capable de se comprendre objectivement. Comme nous nous rapprochons de plus en plus de notre expérience, nous commençons à distinguer tout ce qui est le produit des images et des représentations mentales du passé avec lesquelles nous avons été profondément identifiés. Une fois ces images identifiées (les représentations mentales auxquelles nous nous sommes pris pour être par rapport au monde) nous arrivons à nous détendre hors de toutes les croyances définies par notre esprit.

Il était souvent difficile de voyager à travers les pratiques spirituelles traditionnelles auxquelles manquaient les dimensions de l’enquête et de l’exploration ainsi que la compréhension de la façon dont le « moi » se développe et de la façon dont il se coince dans ses propres contradictions. Avec SATRANGA, il devient possible de voir à travers les images du moi et de récupérer les potentiels normaux du coeur qui sont devenus confus avec ces images. Ainsi ce qui est immédiat, inconditionné et essentiel en notre nature fait surface. Pour identifier ces qualités essentielles, notre nature nous guide pour savoir et vivre la richesse et le mystère de la vie dans toutes ses dimensions.

Beaucoup d’enseignants spirituels négligent l’aspect psychologique de l’être humain.

Oui, ce sont les approches traditionnelles. Dans les traditions orientales, on néglige la psychologie, dans la psychologie on néglige l’aspect spirituel de l’être ; c’est pourquoi j’intègre la psychologie dans mon enseignement. L’un et l’autre se complètent. C’est ce qu’il y a d’authentique. La méthode que nous employons intègre les deux d’une manière organique.

Quel est le sujet central qui vous passionne le plus ?

La recherche de la vérité est ma passion, la totalité de mon travail est basée sur l’amour passionné pour la vérité, vouloir savoir passionnément, non pas d’une perspective mentale mais de la profondeur du cœur. Ce que nous sommes, ce qu’est la vie, ce qu’est la réalité, ce qu’est le point de notre vie. Le travail SATRANGA est une enquête empirique et profonde dans ces questions et dans d’autres.

Comment la recherche de la vérité est-elle reliée à notre expérience de la vie ?

C’est le centre de notre vie. La passion et l’amour pour la vérité au sujet de notre expérience personnelle, l’investigation dans notre vie à un certain point indique la vérité la plus profonde, essentielle et spirituelle.

Et cette vérité comment la vivons-nous à l’intérieur ?

Un sens de liberté, un sens d’authenticité, le sentiment que c’est ce que « je suis », le sentiment de se réveiller à la réalité, sortir d’un rêve, et un sens de plénitude, de présence.

Ce sentiment doit être bien joyeux ?

Il peut être enthousiaste, joyeux et heureux, il peut être également profond et satisfaisant. Il change selon la situation.

Les gens n’aiment pas la vérité, ils ont peur de la vérité.

C’est vrai. Quand nous explorons la vérité nous trouvons beaucoup de vérités qui blessent ou qui sont très effrayantes, mais l’amour passionné pour la vérité apporte un sens d’intégrité et de sincérité qui est très satisfaisant et nous apporte un sens de maturité.

Vos élèves partagent cet amour ?

Certains élèves viennent avec une partie de cet amour et les autres le développent. Chaque personne est profondément attirée par la vérité, mais elle ne s’en rend pas toujours compte, elle doit être réveillée. Cet amour de la vérité peut être réveillé et développé. Il est important d’identifier que la vérité dont nous parlons, n’est pas la vérité intellectuelle mais la vérité de notre expérience. Au fur et à mesure que nous l’explorons, elle devient de plus en plus profonde jusqu’à ce qu’elle devienne la profondeur de notre existence.

Il doit être difficile de vivre avec vous, avec votre insistance sur la vérité....

Ca dépend. J’ai une femme admirable, elle dit qu’elle m’aime malgré mon amour pour la vérité, elle n’est pas jalouse que mon premier amour soit la vérité. J’ai des amis qui ne se sentent pas gênés par mon amour de la vérité. Je suis un inconditionnel de la vérité en moi mais également en l’autre. J’aime savoir qui est vraiment l’autre. C’est vrai que je suis un inconditionnel de la vérité, mais cela ne m’empêche pas de mentir de temps en temps.

Vous devez bien choisir vos amis !

Oui, je choisis également bien mes élèves : ceux qui veulent vraiment savoir la vérité et évoluer en accord avec leur vérité.

Qu’entendez-vous par évolution dans votre enseignement ?

L’évolution signifie que la personne éprouve sa vraie nature et elle l’exprime dans sa vie. La vraie nature n’est pas une conscience pure simplement. C’est également la source de la clarté, de l’amour, de la passion, de l’humilité, de la maturité, de la responsabilité, de l’intelligence. Vivre c’est exprimer ces qualités.

Que diriez-vous d’une personne qui se déclare réalisée et se comporte mal ?

Ce n’est pas parce que nous connaissons quelques bribes de notre nature essentielle que nous sommes réalisés. Le travail doit être des deux côtés : le travail psychologique et la connaissance essentielle reliant ainsi la personnalité à la nature spirituelle.

Pour être une personne évoluée, je dois bien sûr connaître ma nature essentielle, mais agir en accord avec cette évolution dans le monde, est l’expression de l’évolution.

Quelle est la méthode de l’évolution Satranga ?

J’enseigne et j’emploie le processus de l’enquête et de l’exploration, c’est ainsi que j’obtiens la compréhension ; enquête et exploration avec l’amour pour la vérité. Je continue sans me préoccuper des résultats. C’est une nouvelle manière de travailler. Le vrai amour pour la vérité est désintéressé. Il ne veut rien. De la même manière, lorsque vous aimez vraiment quelqu’un vous ne voulez rien de lui. Vous l’aimez tout simplement.

L’enquête ou l’exploration est votre méthode principale, pourriez-vous nous en dire plus.

L’enquête ou l’exploration est une élaboration de la méthode socratique. Socrate a commencé cette démarche de questions où il prend la position ‘‘je ne sais pas ce qu’est la réalité, mais j’aimerais la trouver’’ Pour cette démarche l’esprit doit être complètement ouvert, sans aucune position. Dans le sens scientifique, vous ne savez pas ce que vous découvrirez, mais vous devez découvrir aussi clairement que possible.

Cette méthode passe par plusieurs composantes. La première c’est l’acceptation de non savoir, la seconde c’est l’amour passionné de savoir ; il doit être sincère. La troisième est la curiosité ; vous aimez la vérité mais si vous n’êtes pas curieux, rien ne se produira. La curiosité apporte l’enjouement et l’attitude expérimentale. La quatrième doit être l’obstination, la détermination à ne pas céder face aux difficultés.

Une autre composante est le cœur courageux parce que la vérité est parfois douloureuse.

Cette exploration dans notre vérité a forcement des règles ?

Elle est semblable à la science mais elle est appliquée à notre expérience personnelle, à nos sentiments, nos actions, nos émotions, nos rêves. Elle est très personnelle. Par exemple : je me sens triste. Premièrement je dois me rendre compte de ma tristesse, pourquoi suis-je triste ? Je continue à explorer la question jusqu’à un certain niveau où j’identifie que je sens quelque chose comme l’absence ou j’ai l’impression d’avoir perdu quelque chose, cela indiquera un certain genre de vide. Le vide montre que je suis triste ou blessé ou fâché parce qu’il y a quelque chose qui est absent, quelque chose que je sens intuitivement qui fait partie de mon être, mais dont je suis coupé.

Nous continuons à explorer ce vide au lieu d’essayer de le remplir. Nous l’embrassons, l’acceptons, nous explorons ce vide, le vide commence à indiquer pourquoi ces qualités sont absentes ; les événements de notre histoire associés à cette perte, nos blessures d’enfance, notre estime de soi. Quand le vide révèle la blessure originale, nous la sentons avec tout notre coeur, la blessure révèle aussi la qualité réelle qui a été perdue. Si ce que nous avons perdu était un sens de l’estime ou de la valeur de soi, ce qui surgira dans notre expérience est un genre de nectar du coeur. Nous le sentons comme sens de valeur intrinsèque.

C’est-à-dire, nous sommes obligés de passer par la case souffrance ?

Oui, vous devez passer par le vide et la blessure qui mèneront à ce qui a été perdu. Ensuite, vous commencez à identifier la qualité de votre être antérieure à ce vide : un sens de douceur, un sens de présence. Les qualités d’être commencent à faire surface. Ainsi l’enquête continue plus en plus profondément.

Et cette révélation nous apporte le sens de bien-être ?

Ce n’est pas forcement pour aller mieux. Le but est de découvrir la vérité de ce que nous sommes. Nous n’essayons pas de réparer les dommages ; nous suivons le désir ardent du cœur pour savoir la vérité, la réalité, plus en plus profondément

Et la blessure, ne doit-on pas la guérir ?

La blessure fait partie de l’enseignement, les qualités de notre être sont perdues, coupées, cachées très tôt dans l’enfance parce qu’elles n’ont pas été appréciées ou n’ont pas été remarquées ou soutenues.

Je vous ai entendu dire : le soi et l’image de soi sont deux choses différentes, pouvez- vous m’éclairer à ce sujet ?

Dans un certain sens, la personnalité est une imitation de Soi. Nous développons une image de soi qui est basée sur notre histoire, nos conceptualisations et notre croyance, ce que les autres nous ont dit etc., tandis que le SOI, qui n’est pas une image ou une idée, est vécu comme un sens de présence, une présence dans le maintenant, dans la réalité du moment. J’emploie le mot SOI de la manière dont il a été employé dans la tradition orientale ou comme dans la philosophie occidentale antique en tant que « AME », c’est-à-dire la totalité de l’individu, la totalité intérieure de l’individu ; notre esprit, nos émotions, notre nature spirituelle, notre volonté. C’est ainsi que Socrate définit l’ AME.

La psychanalyse utilise aussi la notion de soi

Le SOI pour nous est différent du soi employé dans la psychanalyse. La personnalité ou le moi de la psychanalyse est l’anti-thèse de SOI spirituel. A partir de la naissance de la psychanalyse dans les cent dernières années nous avons cessé d’employer le mot âme en Occident, et avons commencé à employer le mot soi ou moi comme défini par la psychanalyse. Ce n’est pas la signification originale. L’AME ou le SOI est la partie spirituelle.

Pour beaucoup de gens l’âme est la pièce éternelle.

Oui, mais les gens pensent qu’elle est l’esprit désincarné. Je dis que c’est la partie éternelle mais c’est notre expérience en ce moment.

Et la nature essentielle ? Est-ce que c’est différent du SOI ?

Le SOI n’est pas constitué de notre esprit ou de notre histoire, il peut s’éprouver directement dans le moment. Mais le SOI peut éprouver l’esprit, l’histoire personnelle, l’image de soi ou la personnalité, les émotions, les sentiments, l’identité et le désir, mais aussi l’essence, l’amour etc. Le SOI peut se sentir immédiatement pour s’éprouver car il est au milieu de la conscience, un champ de conscience, la présence pure. Cette conscience, cette présence pure est notre vraie nature, notre nature essentielle.

Quel rôle vos étudiants jouent-ils dans le monde, et comment votre enseignement participe-t-il à la transformation générale de la culture et de la conscience ?

Le rôle de l’enseignement peut se manifester à deux niveaux. Au premier niveau , aider les personnes à s’ouvrir et à se réveiller à leur nature essentielle. Ainsi, elles deviennent des sources de clarté, d’amour et de bonne volonté. L’autre niveau est que les gens se réveillant à leur nature essentielle, prennent la responsabilité de leurs vies, ils commencent à chercher ce qu’est leur rôle dans la société, ce qu’est leur contribution. Ils contribuent alors à la société et identifient par conséquent leur vrai destin.

Est-ce que chacun a un destin ?

Tout le monde a un destin. La nature essentielle, la nature de notre conscience, qui est la nature de l’univers, la nature de l’intelligence, a sa propre force évolutionnaire, et elle se manifeste à travers les individus. Plus nous sommes clairs, plus nous sommes éveillés à cette nature essentielle, plus la nature essentielle s’exprime directement, clairement et sans déformation. La nature essentielle s’exprime de façon unique à travers chaque individu. C’est notre destin. Certains découvrent que leur destin est de guérir ; d’autres trouvent que leur destin est la médiation et la résolution des conflits, ou la politique. D’autres encore trouvent que leur destin est d’être authentiques et humains dans le milieu des affaires. Chacun est différent. La nature essentielle les prépare pour un travail particulier et une fonction précise.

Et enseigner est votre destin ?

J’étais ouvrier et je pensais que je finirais ma carrière comme contremaître dans une usine, ou, pour le mieux, gérant dans un restaurent indien, et je suis en train de vous parler de la spiritualité. N’est-ce pas amusant.

Qu ’est-ce qui nous inspire notre destin ?

C’est notre nature essentielle qui nous inspire. La nature essentielle a son propre amour, sa propre intelligence et sa propre volonté d’introduire dans le monde ses propres qualités : liberté, authenticité, amour, vérité. Comme nous nous explorons nous-mêmes, nous permettons à la nature essentielle de se manifester et nous aidons l’autre à manifester aussi sa nature essentielle. Quand nous vivons notre nature essentielle, nous découvrons ce qu’est la vraie vie ; quand nous aidons l’autre à trouver sa nature essentielle, c’est la vraie aide. C’est notre participation à créer un monde meilleur.

Réaliser notre essence permet de créer un monde meilleur ?

En réalisant notre vrai potentiel, nous mettons en évidence le potentiel de l’humanité. L’humanité doit mûrir, évoluer dans la direction de l’essence.

Mais cela suffit-il ?

Oui, mais vous ferez plus en travaillant avec d’autres personnes, plutôt que de rester sur votre montagne.

Quand vous enseignez, est-ce le contenu ou votre présence qui est le plus important

La présence est la plus importante, le contenu est fait de façon à communiquer la présence. Le contenu aidera les personnes à sonder leurs esprits, pour se relier à leurs expériences. Je leur enseigne comment explorer leur conscience, comment être eux-mêmes. La présence leur donne le goût de s’explorer.

Que voulez-vous dire par l’esprit ?

L’esprit est ce dont une personne est consciente. L’esprit comme notre personnalité est un concept très limité. L’enquête et l’exploration ouvrent le vrai esprit. L’esprit fait partie de ce que vous êtes. Vous ne pouvez pas vous débarrasser de votre esprit. Dans mon livre, « Le Sublime Nectar », j’aborde en détails le sujet de relier notre esprit rationnel avec notre inspiration spirituelle et montre comment ils sont vraiment une partie de la même chose. C’est l’approche de Platon.

Dans certains enseignements traditionnels, l’amour et la compassion suffisent. Vous mettez la vérité d’abord. Où placez-vous l’amour ?

J’identifie ma vraie nature comme lumière, cette lumière inclut toutes les couleurs, l’amour et la compassion sont ces couleurs. Il y en a d’autres que celles-là. Si la vraie nature n’est pas affectueuse et compatissante, ce n’est pas la vraie nature. La conscience éprouve le Soi comme présence dans le maintenant, comme la réalité du moment.

Quand votre destin s’est révélé, était-il un tournant ?

Il y a eu beaucoup de tournants, différentes jonctions, mais une des plus significatives était l’identification de la nature essentielle, la présence pure. Je travaillais avec la question de l’unité et de la dualité, il y avait un espace entre moi et ma nature essentielle, j’ai finalement compris que cet espace était seulement dans l’esprit et qu’il n’était pas vrai. C’est la nature essentielle qui se manifeste comme moi-même, comme présence intemporelle. C’était le moment le plus important. C’était une réalisation d’être la nature essentielle, la vraie nature de Soi.

Vivez-vous cette réalisation ?

Oui. J’éprouve ma vraie nature chaque instant. Les expériences, les émotions, les sensations, les pensées viennent et disparaissent, parfois elles diminuent l’intensité de la présence, mais cette présence devient de plus en plus dominante.

Est-ce l’expérience de l’illumination ?

Je ne sais pas ce que veut dire l’illumination. Il y a différents degrés de réalisation.

Une dernière conclusion sur la vérité

Quand nous parlons de la vérité, ce n’est pas une certaine vérité désincarnée et universelle. Elle est très personnelle. Quand nous trouvons notre propre vérité, il y a une intimité en elle. Nous nous sentons personnellement engagés avec cette vérité pour qu’elle se réalise. Ce n’est pas un genre abstrait et impersonnel d’enquête et d’exploration.

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