Le sacré et le profane

L’individu n’est ni "sacré" ni "profane" mais une synthèse des deux. Un être humain dont l’individualité est enracinée plus largement dans la réalité éternelle. Au lieu de manifester des modes de comportements conditionnés, il peut manifester dans la vie quotidienne, une gamme de qualités divines telles que la compassion, l’intégrité, ou l’harmonie. C’est Le Dieu s’exprimant à travers une personne humaine individuelle, au lieu d’un être humain cherchant à devenir moins individuel et plus impersonnellement transcendent.

J’aimerais commencer en vous interrogeant au sujet du conflit entre "l’homme de Dieu" et "l’homme dans le monde." Prétendez-vous résoudre ce conflit dans le cadre de votre enseignement ?

Certainement. Intégrer la vie spirituelle dans la vie quotidienne est un principe central de notre travail. Habituellement, la spiritualité est considérée comme quelque chose à part de la vie. Mais les êtres humains ont le potentiel de vivre une vie de plénitude, de richesse, et de liberté, et cela se produit quand la dimension spirituelle est intégrée dans notre vie quotidienne.

Les traditions spirituelles classiques nous enseignent à nous éloigner de la vie ?

Pas nécessairement, pas toujours, mais souvent il y a cette tendance. C’est vrai qu’il est courant d’être emprisonné dans les soucis quotidiens du monde et d’oublier la dimension spirituelle. Ménager les deux ensemble n’est pas facile, c’est pourquoi, beaucoup d’enseignements tentent à se concentrer sur la dimension spirituelle, pour pouvoir désamorcer la séduction du monde.

Vous dites également que l’intégration de l’ego et l’évolution spirituelle ne peuvent pas être séparés mais font partie du même processus. Expliquez nous !

Je vois la vie humaine comme évolution perpétuelle. La naissance et le développement de l’ego sont des étapes normales et nécessaires pour cette évolution, afin que se produisent d’autres étapes. Par exemple, pendant l’enfance, notre conscience se structure et s’organise d’une certaine manière, un sens d’individu se développe, une identité que les gens appellent, moi, se met en place, dans ce processus nous apprenons comment vivre une vie physique ; nos esprits se distinguent. Cette conscience distinctive doit se développer avant une véritable réalisation spirituelle et elle se développe en partie par le développement du moi. La conscience personnelle, ce que j’appelle le soi, évolue et mûrit ensuite. Toute cela fait partie du même processus d’évolution.

Ainsi vous dites que le développement du moi est nécessaire pour vivre dans le monde, mais qu’il joue aussi un rôle dans notre développement spirituel.

Oui, L’ego est la conséquence du développement arrêté, d’être coincé à une certaine étape. Beaucoup de gens passent par le développement du moi mais ne vont pas bien au-delà. Quand cela se produit nous vivons la vie de l’ego. Ce n’est pas que le moi ou l’ego est mauvais mais, parce que nous avons le potentiel de nous développer au-delà du moi, nous sommes condamnés à souffrir si nous sommes coincés dans le développement arrêté et que notre potentiel n’est pas accompli.

Comment aller au-delà du moi ?

En le comprenant et en le métabolisant. Le moi est un processus perceptuel qui se produit dans notre esprit et dans notre conscience par lequel nous développons le sens d’individualité et développons une identité personnelle dans le monde. En comprenant ce processus, nous pouvons le conduire à la prochaine étape de développement, qui est d’intégrer et métaboliser ces structures et concepts de moi dans notre nature spirituelle. Ceci mène à la réalisation du Soi, la nature spirituelle de l’individu qui se manifeste dans le monde.

C’est cela que vous appelez "essence personnelle ?"

Parfaitement. Le moi est une image de soi, il est toujours au niveau du mental. Il est vide. Il n’a ni la substance ni la richesse du Soi essentiel. Par contre, une personne qui a réalisé l’essence personnelle est remplie de richesse spirituelle.

Je ne suis pas sûr de comprendre. Comment peut-on métaboliser les structures moi ?

Du faite que l’expérience est vécue par notre moi, nous n’éprouvons pas les choses directement ou purement. Notre perception a beaucoup de voiles et nos actions et choix sont conditionnés par notre passé. En comprenant nos actions et sentiments, en identifiant les situations, leur environnement, leur évolution logique, et leur vérité fondamentale, nous commençons à voir la nature de ces obstructions et comment elles se sont développées dans notre vie, surtout dans notre prime enfance.

C’est cela l’apport de la psychologie de développement dans votre enseignement ?

Oui, parce que la psychologie de développement offre de bonnes théories quant à la façon dont le moi se développe. J’emploie une grande partie de cette connaissance en comprenant notre expérience personnelle du moment.

Pourriez-vous illustrer la façon dont une personne pourrait aller au-delà des obstructions du moi en utilisant votre méthode ?

Prenons une personne ayant toujours des problèmes relationnels. En explorant la nature de ses difficultés avec l’intimité, elles pourraient rappeler de premières expériences d’enfance. Par exemple, elle pourrait se rappeler que parfois pendant son enfance elle a vécu la même difficulté avec sa mère ou avec un autre membre de la famille ou bien qu’ils n’ont pas eu une identité séparée. C’est une chose extraordinaire, les gens sont effrayés de perdre leur individualité, et en même temps horrifiés d’assumer leur séparation. S’ils continuent à explorer l’état d’être séparé, ils pourront se rendre compte de la qualité de leur nature originale qui est l’unité.

Procédez-vous de la même manière qu’un psychothérapeute ?

Pas exactement. Nous explorons l’expérience, nous n’entrons pas intentionnellement dans l’enfance. Explorer des expériences actuelles indique souvent des structures créées dans l’enfance. Notre enseignement se démarque de la psychothérapie à deux niveaux : Premièrement, nous ne nous concentrons pas sur les situations conflictuelles, nous essayons seulement de comprendre notre expérience, que ce soit positif ou négatif. Tandis que la psychothérapie traite les conflits afin de les améliorer. Notre orientation est de comprendre n’importe quelle expérience et de découvrir la vérité à son sujet, de la comprendre et de l’intégrer dans notre esprit et non d’essayer de la corriger.

Deuxièmement, nous voyons la composante spirituelle de chaque situation, de chaque problème, de chaque conflit. Par exemple, la personne qui a peur de l’intimité, à un certain niveau profond, a nécessairement une problématique avec un aspect spirituel, par exemple, l’unité. Ainsi les problèmes de l’intimité et des relations existent à des niveaux beaucoup plus profonds que le niveau personnel et psychologique. Si vous permettez à l’expérience de manifester la vérité, ces choses émergent, parce que le spirituel et le psychologique sont vraiment reliés.

Si je vous comprends bien, vous pensez que les problèmes psychologiques sont les reflets directs de l’absence de l’essence. Je veux vraiment comprendre la relation entre les problèmes psychologiques et les aspects essentiels, s’il vous plait donnez quelques exemples.

Prenez l’exemple de la volonté, qui est un aspect essentiel central aussi bien dans la vie quotidienne que dans la démarche spirituelle. Un ensemble de conflits pourrait se manifester dans la vie quotidienne autour de la volonté, comme manque de confiance ou une incapacité de persévérer. Il pourrait également apparaître comme une personne qui peut être trop dure. Explorer ce conflit plus profondément indiquera une défaillance, ou le manque de la volonté essentielle. En comprenant et en éprouvant ce manque, la qualité spirituelle de la volonté peut se manifester.

Vous décrivez la perte de la vraie volonté comme un "manque" vous employez aussi les termes comme le "trou" Ou l’« abîme » Par votre méthode d’exploration, les étudiants font l’expérience d’un abîme ou d’un trou dans leurs corps ? Pourriez-vous expliquer cette idée ?

Quand nous explorons notre expérience afin de la comprendre, ce doit être notre expérience actuelle, ce qui nous sentons dans le moment. Une expérience actuelle est une expérience incorporée, incarnée, connectée à notre corps, notre esprit, et nos émotions. Quand nous arrivons à la dimension de notre expérience de perte de notre nature essentielle, nous éprouvons cette perte comme une sorte de vide, un trou.

Reprenons encore l’exemple de la volonté. Le centre de la volonté est dans le plexus solaire. Ainsi quand une personne commence à se rendre compte qu’il lui manque la vraie volonté, elle sent un vide, un trou, dans le plexus solaire. Si cette personne reste avec ce sentiment afin de le comprendre, le trou s’ouvre et s’élargit. Graduellement la compréhension de pourquoi nous sommes coupés de la volonté peut commencer à émerger. Par exemple, un homme peut s’être senti châtré, réduit, par son père ou une femme peut avoir eu un père exigeant, etc. Pendant l’exploration psycho- dynamique, la source de perte de la vraie volonté se manifestée et le trou est entièrement expérimenté, puis quelque chose commence à apparaître dans cet abîme, une présence solide et lumineuse apparaît et remplit le plexus solaire. La qualité de la volonté authentique commence à émerger, et la personne sent la puissance et la confiance.

Selon votre vision, vous décrivez les différents niveaux de la conscience, tels que "être," "essence," et "essence personnelle" pouvez vous clarifier ces termes.

Quand j’emploie le mot ÊTRE, cela signifie la nature spirituelle de tout. Quand je dis ESSENCE, je parle de la nature spirituelle de la personne, qui est la même chose que l’être, se manifestant en tant qu’une personne. L’Être pourrait être décrit comme réalité multidimensionnelle et qui peut se manifester comme qualités telles que l’amour, la compassion, la clarté, et la force. J’appelle ces derniers les QUALITES ESSENTIELLES. Ces qualités sont des facettes de l’essence, l’essence se définit elle-même par notre expérience particulière de la vie. Ces qualités essentielles sont nécessaires pour intégrer une vie personnelle avec l’esprit.

Cette théorie de la dimension immanente se manifestant par les diverses qualités, distingue votre école du Bouddhisme et de l’hindouisme, qui soulignent les aspects plus impersonnels du divin.

Si vous regardez les traditions d’Extrême-Orient, particulièrement celles qui sont venues de l’Inde, vous remarquerez que la libération est absence du cycle de la vie et de la mort. Ces traditions incluent l’aspect personnel, mais tendent davantage à réaliser la libération au-delà de la vie ; ce n’est pas libération dans la vie. La spiritualité est vue comme quelque chose à placer indépendamment de la vie. Mais les êtres humains ont le potentiel de vivre une vie de plénitude, de richesse, et de liberté. Cela se produit quand la dimension spirituelle est introduite dans notre vie quotidienne.

Votre enseignement s’inspire du soufisme certes, comment le situer par rapport aux traditions occidentales ?

Le soufisme fait partie de la tradition occidentale parce qu’il a ses racines dans Néo-Platonisme. La tradition occidentale inclut le judaïsme, le christianisme, et la tradition islamique. Ils ont tous la même origine et tendent à souligner la vie dans le présent, la vie ici et maintenant.

Par contre, la manière dont vous décrivez l’exploration pour accéder aux états supérieurs de la conscience, diffère des moyens habituels de la prière ou de la méditation dans ces traditions.

Oui, elle est très différente. C’est pourquoi je pense que c’est une méthode efficace pour un homme ou une femme, vivant en occident. C’est une approche de la compréhension par l’enquête et l’investigation. Comme Socrate, la figure centrale de la tradition occidentale, a fondamentalement posé des questions. Et c’est ce que nous faisons, nous posons des questions.

Ainsi vous ne priez pas, ou avez-vous des méditations et des prières en tant qu’élément de votre pratique ?

Bien sûr nous pratiquons des méditations à différents moments de notre travail. Nous pratiquons aussi des exercices de contemplation, de respiration, les chants, les marches, et d’autres pratiques encore. C’est sont des supports de la pratique principale, qui est l’enquête et l’exploration dans nos expériences.

Une chose qui m’intrigue dans votre façon de travailler avec vos élèves en tant qu’enseignant spirituel, c’est que vous traitez la question du transfert.

Oui, j’emploie la notion transfert de la manière dont elle est employée dans la psychothérapie. Notre approche principale est l’enquête et l’exploration dans l’expérience. Quand il y a une interaction enseignant/élève, le transfert et le contre-transfert sont censés surgir. Ils font partie de la vérité de la situation, mais nous ne concentrons pas sur le transfert autant que la psychanalyse.

Un enseignant spirituel travaillant sur les questions de transfert et de contre-transfert avec ses élèves crée un précédent dans les traditions spirituelles ?

Oui, Je pense que ce serait une très bonne chose si les enseignants spirituels identifiaient la puissance du transfert et du contre-transfert parce qu’il est très utile pour clarifier le rapport enseignant/élève. Le rapport entre l’enseignant et l’élève doit être ouvert et clair pour qu’il y ait la vraie transmission.

Voyez-vous la psychologie comme un plus sur le chemin spirituel ?

C’est une bonne manière de voir. Je pense que la connaissance psychologique est un développement nécessaire dans le courant spirituel occidental. Actuellement, la psychologie est séparée de la tradition spirituelle ; ce sont deux champs séparés. Avec le temps nous verrons leur rapprochement, les traditions spirituelles auront de nouvelles ressources grâce à la psychologie. Elles en gagneront en efficacité.

Avez-vous l’impression que d’autres traditions commencent à s’ouvrir à la dimension psychologique de la démarche spirituelle ?

Quelques enseignants sont plus ouverts que d’autres. Ce n’est pas simple, il peut y avoir beaucoup de pièges, vous ne pouvez pas simplement prendre la psychologie et essayer de l’ajouter aux champs spirituels. Beaucoup d’enseignants et de traditions spirituelles sont prudents au sujet de la thérapie. La thérapie peut concentrer une personne sur son individualité de telle sorte qu’elle exclut l’aspect spirituel de la personne. En essayant de résoudre des problèmes, au lieu de les explorer, de les comprendre, comme résultant d’une aliénation de la nature essentielle, la psychothérapie peut devenir une déviation du chemin spirituel. Je pense qu’il est important d’avoir un équilibre, ou plutôt une priorité : la connaissance psychologique est une aide pour établir les qualités spirituelles.

Je me demande si les enseignants spirituels devraient s’engager dans une thérapie avec leurs élèves, ou si les psychothérapeutes devraient méditer ou prier avec leurs clients. Quels sont vos sentiments sur ce sujet ?

Notre école a comme sujet, le travail spirituel, et pas la psychothérapie ; notre orientation est l’intégration spirituelle, la réalisation spirituelle et non pas le développement personnel. Nous employons des méthodes psychologiques en tant qu’élément de notre travail spirituel. Nous faisons une distinction claire entre notre travail et la psychothérapie. Nous recommandons parfois la psychothérapie à certains de nos élèves : par exemple, si quelqu’un a un problème émotif, ou de dépression. Notre travail n’est pas orienté à résoudre cela. Il ne pourrait pas soulager une personne qui a besoin de l’intervention curative immédiate. Ainsi nous ne confondons pas la psychothérapie avec le travail spirituel parce que le travail spirituel n’est pas une question de remède ou de réparation à une situation ou un problème dans la vie, Il s’occupe de l’aliénation de l’esprit avec sa nature essentielle. Bien que avec le temps le travail spirituel équilibre la situation de la vie d’une personne.

Une des aspects de la personnalité sur lequel vous insistez est le « narcissisme », vous décrivez le narcissisme comme désordre spirituel primaire. Pouvez-vous expliciter SVP ?

Pour la psychologie le narcissisme est étudié dans la perspective de la phase de développement dans l’enfance. Je vois le narcissisme comme une déformation de base causée par la coupure d’avec sa nature spirituelle. Quand quelqu’un est coupé de sa nature spirituelle, au lieu d’avoir un vrai centre, il a un vide, et son sens d’individualité est instable. Si nous ne sommes pas reliés à notre véritable nature spirituelle, nous ne sommes pas un individu authentique : nous avons un individualité faux et fabriqué de toutes pièces. C’est exactement ce qu’est le narcissisme : une tentative d’être et d’exprimer un individualité faux, une image construite de soi. Cette personne ne voit pas les autres, pourtant elle veut toujours être vue. Pourquoi est-ce ainsi ? Parce que la personne n’est pas sûre de son individualité. Parce qu’elle n’a pas la sécurité intérieure, elle est toujours focalisée sur sa fausse identité.

S. R. ROSHAN

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